samedi 5 novembre 2011

Explications, un chef d'oeuvre dans un tiroir

Suite des aventures d'un prix littéraire cévenol (lien)
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COMMENT ON PASSE DE PROUST A UN GENRE LITTÉRAIRE.. DIFFÉRENT ! POUR POUVOIR PRESQUE MANGER A SA FAIM..


Pourquoi une telle ire contre ces pseudos prix régionaux et sans doute tous, et la manière obscure dont ils sont attribués? parce qu'il me fut donné un jour de lire un texte (manuscrit), un pur chef d’œuvre, d'un jeune auteur inconnu .. de Montpellier ! que je supposais avec une belle candeur devoir forcément être primé. Il ne le fut pas : pas assez "local", Montpellier, c'est loin, ce sont les Cévennes qu'il faut vendre, trop intello (faux), pas assez connu, exact, mais ce prix eût peut-être pu le booster, ne serait-ce que financièrement -il vivait dans la misère-. Il en fut navré, croyant que son travail n'était pas assez "abouti" lorsque c'était l'inverse et qu'au fond on lui demandait plutôt de se galvauder. Il avait réalisé son roman selon les critères exigés et malgré tout, réussi un texte magnifique entre Proust mais écrit simplement et Zola, inspiré (peut-être?) de mon propre livre "Secret de famille" un ouvrage de philosophie un peu rasoir dont il était une sorte d'illustration romanesque parfaite et palpitante.. Navrant que, tenant une telle pointure, le jury avec une belle unanimité se soit rabattu sur un livre sans intérêt mais... sur les Cévennes ! 


Or celui du jeune auteur se passait dans la région de Montpellier. Il faut vendre, mais vendre ICI. Le public ainsi méprisé ne s'y est pas trompé et, s'il n'a pu lire le roman qui ne fut donc jamais édité, a cependant relativement boudé celui qui avait été couronné.
Le roman mettait en scène une famille immigrée italienne arrivée de Sicile dans un domaine viticole prospère dirigé par un jeune patron sous la coupe de sa mère veuve, un homme simple, isolé, jamais sorti et de ses jupes et de sa propriété, fils unique, qui tombe amoureux de leur fille aînée de 16 ans... qu'ils contraignent à l'épouser. La jeune fille qui aurait voulu continuer des études cède sous la pression, et de l'amoureux et de sa terrible "madre" qui voit là une occasion à ne pas manquer. Ainsi se forme un couple disparate dans lequel l'époux, qui pour la première fois de sa vie a dû s'opposer à sa propre mère [laquelle voyait cette union comme mésalliance funeste, consciente sans l'avouer que son fils n'était en fait pas à la hauteur de sa future] l'époux donc est fou d'amour et la jeune femme, indifférente et ne le cache pas. 

Il tentera désespérément toute sa vie de la conquérir maladroitement, en vain, quoique les enfants furent nombreux, qu'elle souhaite car c'est sa seule "liberté", la seule manière d'exalter sa joie de vivre malgré tout récurrente. Une manière dramatique cependant.


Sa fille aînée, navrée de voir sa mère malheureuse, se prend petit à petit d'une haine excessive pour sa grand mère italienne et surtout pour ce père qu'elle méprise.. ainsi que d'un amour sans espoir pour celle-ci, trop accaparée par les maternités qui se succèdent. Le drame se noue lorsque le père, devenu alcoolique, au bout de la détresse, la bat. La jeune fille le hait de plus en plus et un jour de folie, il la viole. Rétorsion ou amour désespéré pour sa femme qui, à présent ménopausée, se refuse, l'adolescente qui lui ressemble ayant joué les doublures? Elle part. La mère (sait-elle? on l'ignore) n'ose cependant pas quitter son mari, toujours durement pressée par la sa propre mère devenue la "nonna", qui redoute de devoir abandonner la position de quasi patrons du domaine (et des patrons durs aux ouvriers!) qu'elle et son mari ont acquis. De fait, personne ne défend l'adolescente -Julie- et par la suite, on ne parlera plus jamais d'elle.

Le roman commence lorsque l'exilée, mariée, revient au domaine... avec sa propre fille adolescente qu'elle a élevée seule, qui lui reproche de ne pas avoir été une bonne mère et surtout son divorce ; elle veut la mettre en relation avec sa famille afin qu'elle comprenne elle-même ce que fut son enfance, aînée d'un couple désespéré se haïssant, seule consciente de la souffrance de sa mère [les autres enfants, opportunisme ou sincérité, ayant plus ou moins pris le parti du père, les cas varient, incriminant leur mère "vénale", peu aimante vis à vis de leur père et peut-être volage.] Sur trois générations, le drame se répercute. La mère de Julie, qui n'a jamais dit-elle cessé de penser à sa fille disparue, quoiqu'elle ne l'ait jamais recherchée! soumise à la pression de tous, s'explique laborieusement : ce qu'elle n'a pu faire pour elle même, comment aurait-elle pu le faire pour une autre, fût-ce sa fille?... et le père, qui coule de plus en plus, mis devant ce passé tragique soudain étalé devant tous, un passé qu'il a lui-même initié, se suicide, après en avoir plus ou moins averti sa fille indifférente. 

Ainsi est magnifiquement traitée la question de l'exclusion et le sacrifice d'un enfant, dans les plus trad convenances bourgeoises, au sein d'une famille sans histoires, respectée, de notables ruraux catholiques. Aucune concession : les immigrés ne sont pas les "bons" exploités par un patron odieux, le patron n'est pas le méchant faisant suer le burnous, les hommes, même cogneurs, violeurs et incestueux, ne sont pas des monstres mais de pauvres types isolés et rompus, riches et pauvres confondus, et l'adolescente citadine autour de qui tout tourne au début, qui ne sait rien de ces omertas et agonit sa mère, comprend finalement que celle-ci fut comme sa propre mère la victime propitiatoire d'un clan qui s'est élevé socialement au prix de sa prostitution... et qui par la suite n'a pas hésité à lever le couteau contre la victime et surtout contre sa fille, celle par qui le scandale, est, non pas arrivé mais fut dénoncé. Et la fratrie, consciente (ou pas?) qu'elle doit sa sécurité et sa position au sacrifice de l'aînée et de leur mère a plus ou moins fait chorus. Exit les victimes, ou motus, tout le clan se referme. Quant au personnage le pire, la Nona, celle qui, analphabète, depuis le début, a sans états d'âme tiré les ficelles du jeu, elle fut elle aussi retirée de l'école à 4 ans dans sa Sicile natale et vouée à garder les chèvres toute sa vie; révoltée à sa manière ambiguë, par l'ambition et la soumission au consensus qui l'avait abolie et aux puissants, elle s'était jurée que ses enfants ne subiraient pas son sort, quelle que fût la façon dont elle devrait s'y prendre. Le sacrifice de son aînée était une parmi d'autres, la plus évidente peut-être. Elle avait la chance d'être belle [comme elle même l'avait été sans que cela ne lui réussît] et cet atout, cette fois, il ne fallait pas le laisser passer, un geste chez cette femme rendue dure par la vie nullement incompatible avec une religiosité pointilleuse et peut-être sincère.. qui ne lui était pas apparu comme du proxénétisme puisqu'elle aussi avait été autrefois mariée un peu au dessus de sa condition par une famille affamée qui n'avait "pas eu le choix"... pour elle ! Et elle aussi avait dominé un mari faible et tiré toutes les ficelles du terrible scénar. Un texte simple, court, éblouissant de finesse et de désespoir (lien avec "secret de famille").       

Épilogué : le jeune auteur s'est rabattu vers des biographies de commandes de stars sans intérêt, il en vit mais n'écrit plus autre chose. 

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