dimanche 6 novembre 2011

Le Biquet d'Argent ou les aventures d'un prix littéraire cévenol. Emblématique

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Le Lutrin Le Biquet d'argent et l'art poétique

Il était une fois une petite ville du Midi,
La Chapelle Graillouze, nom bien aimable,
Qui avait un biquet ! En fait, des biquets, comme dans la fable,
Elle en avait en nombre, des noirs, des blancs et des pies...
Mais en principe, ils finissaient à table, 
Généralement à "La bonne heure",
Jeu de mots qui j'espère, ne vous a pas échappé,
Pour les festivités culturelles majeures.

Sauf que ce Biquet-là était, jamais vous ne devineriez,
Un prix littéraire ! De renom réputé depuis
Plus de vingt ans ! Le Biquet d'argent, ça s'appelait,
Du lourd, la Chambre de Commerce et tout le gratin,
De la culture à Rosette, sérieuse mais sans chichis.
Décerné tous les ans pour faire vendre, point,
Et le roman, et le pays, ses hôtels, ses restaurants,
Ses magasins de baskets surtout... juste au moment
Où les touristes partaient 
Ça relançait.

Paradoxe, ils primaient souvent 
Des pointures d' "ailleurs",
Pour faire classe -ou plus vendeurs-,
Que ce douteux encensoir
Que parfois il ne venaient pas chercher,
Oubliant sur leur CV de s'en prévaloir
Semblait plutôt embarrasser*
Du moins en campagne.


La règle, randonnée et montagne 
La montagne si belle, plus belle tu meurs,
De l'amour mais pas de sexe ou alors fort discret,
Le roman des familles multi prises,
Appellation strictement contrôlée,
Pas question de l'ubac lorsqu'on est sur l'adret.

A sa tête, Rénier-sport et son éminence grise,
L'aubergiste de "L'âne qui boîte" lui-même;
Le PDG de Boufengros -les cantines scolaires-
Le patron de Bativit, l'entreprise de HLM;
Qui faisait aussi les résidences secondaires, 
Le camping Belle étoile; le bâtonnier et sa greffière,
Et toutes sortes de poids lourds, de baleines,
Mais que du beau, du bon,
Du notable garanti pur Cévennes,
Comme les pots d'Anduze et le Pélardon.

Avec quelques célébrités en vacances-chlorophylle,
Et à demeure, un prix Glandour, fuyant leur bile,
Qui, après un bon repas, consentaient à poser, souriants,
Pour la photo de la Creuse-libre, coupe levée au lauréat,
Avec un jury qu'ils ne connaissaient pas plus que le roman
Et dont aucun des membres, les confondant parfois,
Encensant l'un pour l'autre et écorchant leurs noms,
Ne les avait jamais lus. Ce n'était pas la question.

Ils n'en étaient pas moins repus, invités, mentionnés
Même s'ils ne venaient pas de leur ailleurs.

C'était du reste un jeu graillouzais régulier,
Pour un événement littéraire majeur,
On annonçait une star célèbre et riche
Elle ne bougeait pas mais restaient les affiches
Pour épater le passage et se faire du blé des raves,
Mais comme, hormis quelques few et trois braves
..Égarés! personne n'y allait, tout baignait.

Autant dire qu'il allait mal, ce triste Biquet,
Il ne faisait même plus vendre, la pauvre bête,
Et c'était bien l'essentiel. Inutile, c'était l'abattoir.
Alors, son Président se mit en tête,
Avec le dynamique Maire-entonnoir,
D'un frère plus chic, plus porteur,
Carrément, si j'ose, une fivette !
Promouvant comme donneur,
Le PDG d' "Agro plus" viril et généreux,
-Forcément, un Strauss Khanien !-

Et ce fut "Le graillouzais Mondial", pas moins,
Subventions, campagne de pub, sponsors prestigieux,
Et l'"Âne qui boîte" tout entier pour faire le plein.
Étant au jury -le patron, pas l'âne- il fit une réduction,
Et il fut décerné à grand spectacle,
A une dame empêchée dont on ne pouvait dire le nom,
Mais de Cévennes, plus question!
Pour les fans du Biquet, c'était la débâcle.

Mais hélas, trois fois hélas, l'ouvrage,
A La chapelle, fut, il faut le dire clair,
Un vrai bide. Ceux du Biquet jubilèrent.
Par dessous, l'air contrit, hypocrites, de rage
Inassouvie.. et aussi d'espoir.
Passer des chardons à Szaböwicki, à Graillouze,
Le saut était aléatoire.

Le second fut la ruine, commercialement
Mais c'est tout de même le flouze
Le plus important.
Que nul ne le lise, soit, mais en plus il coûtait!
Il fallait revenir au Biquet d'antan.
Bien comme on dit relooké. 
Grosse, hénorme affaire,

Les négociations furent menées pavois ouvert
Par "Culturator", la belle libraire ubiquite,
Qui avait éliminé un à un tous ses confrères,
Dégraissé ses vendeurs pourtant fort squelettiques,
Et à Graillouze à présent unique,
Chapeautait tout, médiathèque et courses à l'œuf,
Conférences historiques et fête de la saucisse,
SPA et paella des chasseurs,
Livres sous le dais, toujours première en lice,
"Avec le soutien de la librairie Salsifi" claquant au Mistral,
Débordé, colonisé, il était, l'animal !

Riche du fiasco, on avait tout bien pesé,
De la culture, oui, mais trop classe,
Ça ne vend pas, et trop peu, ça lasse.
C'est comme saler le jambon, le fric, c'est un métier.

Une coterie sembla bien, l'Académie graillouzaise ça s'appelait.
Ces courtois étaient pile poil la devanture, la cible,
Pour faire grazouillais et culture à la fois,
Pas trop engagés politique, philo ou autre chose pénible,
Mais pas trop toro piscine non plus, certes frigides et un peu cois,
Conférences, débats, élégamment rasoirs,
Même les couples homo étaient trad et seoir, 
Plus convenu, plus can't, on ne pouvait faire.

Mais certains étaient grands miseurs liseurs et liseuses,
Et ça, c'était tout nouveau dans l'affaire,
Car commerce et politique sont choses sérieuses
Qui laissent peu de loisirs. Ainsi disait-on,
D'un auteur prix Glandour 
Qui pour dire bonjour,

Mettait une heure de sauce,
Qu'il était le "père des pots" du même nom, 
Son fils ayant, dans ce glorieux négoce, 
Magnifiquement réussi,
 Pensez, jusqu'au Japon!

Un détail choqua même les plus confits,
Une éditrice parisienne installée de peu au pays
Dix ans ce n'est rien, entra alors dans l'arène,
Et, gaffe banale d'une fraîche en scène,  
Présenta ses propres livres à l'étourdie,
Sans que cela ne lui posât problème,
  Dont certains auteurs, membres de l'Académie,
Furent ainsi amenés à se couronner eux-mêmes.
Et c'est ainsi que le Glandour Biquet nouveau renaquit,
Annoncé par la Creuse-libre, à côté de la corrida
De pentecôte, 
Juste après l'encart des Miuras**,
C'est dire sa cote, 
Et les photos en couleur des matadors,
En pile règlementaire chez Culturator
Devant sa caisse, frétillante, l’œil mouillé,
Car il partait, merveille, plus vite encore
Que "Mes fleurs d'amour" de Madame Cruchet.

Épilogue

Mais l'affaire eut un rebond tragique.
Un talentueux journaliste du "Réveil du Berry",
-70 exemplaires facile les jours de pluie-
Pour un article légèrement ironique,
Déclencha, enfer et damnation ! un anathème !
Une fatwa! Lettres peu recommandables
Quoique recommandées: la roche tarpéienne,
Sous les circonlocutions redoutables,
Et les oxymores sournois, 
Jouxtait bel et bien le Capitole.

Et c'est ainsi qu'aux abois, 
Devant des notables de farandole, 
Meute à l'étrille vertugadière,
 Étique mais féroce non moins,
Le brave mais non téméraire..
En somme.. galiléen !

Promu Saint-Pierre de Graillouze,  
Dut défiler corde aux couilles 
Et chaînes aux mains.

"Eppur si muove c'è carabistouilles,"
En quelque sorte, le mot de la fin.


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* Parmi celles-ci, notons Pierre Rabhi (lien) dont ce fut -dans la région- le signe d'envoi littéraire, Michel Jeury, Isabelle Lacan etc...

** Toros de combat particulièrement réputés.

Suite explicative, les raisons de la colère (lien)










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